vendredi 17 février 2012

Un fauteuil de centenaire au record de l’heure

C’est dans une ambiance qui traduisait bien que l’on allait assister à quelque chose de pas tout à fait ordinaire que fut donné le départ pour une heure sur le vélodrome du Centre Mondial du Cyclisme à Aigle à un centenaire venu de France, plus précisément d’Ardèche.

Aux invités et officiels qui garnissaient les gradins de la ligne de départ s’opposaient les nombreux supporters ardéchois venus en nombre encourager « Robert » dans un exercice unique, rouler une heure sur une piste avec un vélo à pignon fixe. Un pari initié par lui-même et soutenu par ses amis et sa région, dont on sait à quel point elle fait couple avec l’Ardéchoise, la bien nommée, que l’on ne présentera pas.

L’exception Robert

Pour satisfaire au fait que l’allure de Robert Marchand ne pouvait être suffisante pour rouler à la ligne noire (ligne de mensuration placée 20 cm au dessus du bord de la piste), il fut décidé que ce dernier roulerait sur la bande de roulement bleu azur au pied de la piste. Un écart au règlement qui n’aura pas d’autres conséquences qu’une réduction de la distance d’un tour parcouru, finalement mesuré par les commissaires à 195,4 m, soit quelques 4,6 m de moins que les 200 m officiels.

A mi-distance du record mondial

Avec 24,251 km parcourus dans l’heure, Robert Marchand a, comme par un certain hasard, parcouru la moitié du record mondial de la discipline (abstraction faite des résultats au dessus des plus de 50 km dans l’heure biffés par l’UCI). L’effort et la distance ou puissance et vitesse pour être plus précis, ne suivent pas des courbes parallèles, loin de là. On peut raisonnablement affirmer qu’une centaine de Watts sont nécessaires pour maintenir une cadence d’environ 30’’ au tour, alors qu’il en faut cinq fois plus pour aller chercher le record de l’heure actuel.

« Je ne suis pas un champion, juste un homme ordinaire », ainsi s'exprime Robert Marchand

Si Robert Marchand plaisantait encore avant de monter sur sa machine, en ayant pris soin de faire quelques tours pour s’échauffer : « Vous en avez chronométré beaucoup des centenaires ? », message adressé au commissaire venu lui faire les recommandations concernant la machine dans laquelle le vélo allait être retenu jusqu’au top de départ.

Une heure plus tard, Robert Marchand, n’avait pas perdu sa gouaille : « Je ne suis pas un champion mais un homme ordinaire, mon record sera battu, j’en suis sûr ! » Cette même remarque revenait dans les échanges qui suivirent sa descente du vélo alors qu’on lui demandait s’il souhaitait se remettre en selle prochainement pour battre son propre record : « Non, maintenant c’est aux autres de venir le battre, et dans ce cas je reviendrai ! ». Il ajoutera encore : « Je n’ai pas souffert, j’ai seulement eu des crampes dans les mains ».

Responsable au sein de la Fédération française de cardiologie, le Dr. Jacques Beaune, avait de la peine à cacher son émotion alors que l’on avait déjà passé la demi-heure course. Un émoi à peine dissimulé par une objection sur l’inné : « Il a la chance d’avoir eu de bons parents » et d’ajouter, « le facteur génétique est fondamental dans le vieillissement, ce gars à un âge physiologique de 75 ans ». Avec un rythme cardiaque au repos de 58 et de 120 maximum mesuré lors d’un test préparatoire - on est pas très loin de la règle des 220 moins l’âge – le cœur du centenaire ardéchois a paru battre tout au long de l’épreuve aussi régulièrement que son rythme autour de la piste. A sa descente de vélo, après avoir fait encore deux tours à très basse vitesse et une fois assis sur une chaise, les cardiologues mesureront 110 pulsations.

Un pionnier nommé Robert Marchand

En ouvrant une catégorie Masters pour les plus de 100 ans sur l’épreuve de l’heure avec une première ligne au palmarès pour le pionnier Robert Marchand, l’UCI a peut-être la volonté de remettre un nouvel éclairage sur une discipline boudée par les élites du cyclisme. S’agissant des vétérans, l’intérêt n’est évidemment pas à trouver dans l’exploit absolu mais dans l’extension de l’offre pour le plus grand nombre, à moins que gérontologie et sport soient dignes d’intérêt aux yeux des responsables.


Photo (W. Fracheboud/bikeinlove) : Robert Marchand parmi ses supporters en compagnie de Magali Humbert-Perret (ex médaillée sur piste et entraineur de Robert Marchand et Gérard Mistler, président de l'Ardéchoise. D'autres photos sur www.flickr.com

samedi 4 février 2012

Janvier, le mois des « justes »

L’hiver a ceci de bon qu’il nous offre le temps de réviser nos classiques. S’y joignent les hasards du calendrier qui, avec beaucoup d’opportunité, nous y invitent également. Epiques ou héroïques, ces faits sont bien la matière qui donne au sport, et au cyclisme notamment, sa légende.

Albert Richter

Après une première diffusion sur Arte en début d’année 2010, la TSR diffusait un an plus tard l’excellent documentaire de Michel Viotte ("Albert Richter, le champion qui a dit non"). Ce documentaire, qui date de 2005 fait intervenir historiens et biographes et relate la vie d’un exceptionnel champion allemand de l’entre-deux guerres et la douloureuse réalité de l’époque.

Résistant à la montée du nazisme, n’hésitant pas à défier les autorités (il refusera systématiquement le salut nazi), refusant de se faire complice de la propagande et des manipulations dont faisait l’objet l’élite allemande, Albert Richter (1) apportera de plus un soutien inconditionnel à son entraineur juif, Ernest Berliner. Albert Richter entretiendra avec son entraineur une amitié inconditionnelle et des relations qui finalement lui couteront la vie. « Suicidé » par la Gestapo le 2 janvier 1940 suite à une interpellation à la frontière suisse.

Albert Richter est depuis devenu un héros du cyclisme allemand et l’une des figures emblématiques de l’exposition «Le sport à l’épreuve du nazisme» qui a lieu actuellement à Paris. Dans sa rubrique rétro, le mensuel «Vélo Magazine» de ce mois de février publie un très beau reportage sur la vie d'Albert Richter signé Raphaël Godet, collaborateur au journal «l’Equipe».

 Gino Bartali

Révélée par l’UCI fin janvier, la nouvelle a rapidement fait le tour de la planète cyclisme. C’est grâce à un travail universitaire suivi d’investigations menées par le fils de Gino Bartali (2), Andrea Bartali, et la journaliste Laura Guerra, que Gino Bartali devrait être distingué à titre posthume par l’Etat d’Israël de «Juste parmi les Nations» pour ses actions durant la seconde guerre mondiale.

Gino Bartali, dont faut il rappeler qu'il gagna trois Tours d’Italie et deux Tours de France à dix ans d’intervalle (1938 et 1948), mènera pendant la guerre des activités clandestines au service de la communauté juive d’Italie. Grâce à une certaine liberté d’action, il utilisera ses longues sorties d'entrainement pour cacher dans le cadre de son vélo documents et argent qui permirent à des juifs italiens de s’échapper en passant par la Suisse et à d’autres de survivre dans la clandestinité.

La presse s'est fait très largement l'écho d'un fait que Gino aura toujours gardé pour lui, ne laissant rien filtrer, même à ses proches. De nombreuses lectures sont disponibles dont l'excellent article "Gino le Juste" de Laurent Vergne disponible sur le site eurosport.com. Le quotidien Le Temps dans son édition du 2 février consacre une page entière à la nouvelle en y ajoutant des éléments historiques bienvenus sous la plume de Michaël Perruchoud (3).

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(1) Albert Richter est l'un des plus grands coureurs cyclistes allemands de l'entre-deux-guerres. Alors que la machine nazie prend peu à peu le pouvoir en Allemagne, Richter reste fidèle à son entraîneur juif, Ernst Berliner, et prend tous les risques pour lui venir en aide. Richter est retrouvé mort le 2 janvier 1940.
(2) Gino Bartali est décédé à l’âge de 86 ans en mai 2000. La carrière sportive de Gino Bartali est systématiquement opposée à celle de Fausto Coppi (décédé le 2 janvier 1960 à l'âge de 40 ans) pour leur légendaire opposition dans la fin des années 40 et au début des années 50. Une rivalité qui fera bien plus que diviser l’Italie, la droiture de Gino « le pieux » contrastant avec les libertés prises par son jeune adversaire.
(3) Michaël Perruchoud a publié en 2008 aux Editions l'Age d'Homme un pamphlet (Bartali sans ses clopes).

Photo : Albert Richter avec son Manager Ernst Berliner (Photo Archiv W. Schoppe/Hall of Fame des deutschen Sports Radsport-Weltmeister und Nazi-Opfer).