dimanche 17 mai 2009

Belles Lettres : « Forcenés », testament amoureux d’un cyclisme perdu


Quelle place donner à l’opus de Philippe Bordas. Ce livre appelle nécessairement à débattre et le débat a bien eu lieu. A sa sortie en mai 2008, la critique littéraire a salué un livre ambitieux, courageux, dans la lignée des écrivains initiée voilà plus de cent ans par Alfred Jarry. Elle a aussi stigmatisé un style au verbiage frisant la démesure et les limites du supportable. On laissera aux littéraires le soin d’analyser le style et l’emphase pour ne relater ici que le fond.

Ce livre, dont on redira une dernière fois que son abord n’est pas facile, apporte par la profondeur des portraits, par l’étendue des démonstrations, par la richesse et la documentation des anecdotes, une brique importante au genre et à la littérature du sport cycliste.

Dès les premières pages des Forcenés, on comprend les intentions de Philippe Bordas : le cyclisme n’aura pas survécu à l’avènement du cyclisme contemporain, trop instrumentalisé et surmédicalisé, ajoutant que les champions d’aujourd’hui ne sont que des ersatz et les courses ne sont qu’artéfacts.

Un genre littéraire en moins

La thèse de Philippe Bordas se complète, et là n’est pas le moindre des sinistres constats, par l’ensevelissement de toute la littérature qui accompagnait ce sport. Faisant, du même coup, disparaître les velléités pour une matière devenue intraitable. On est donc à la fin d’une époque, d’un cyclisme à tout jamais révolu.

A cette fatalité, comment ne pas faire de parallèle avec l’œuvre emblématique de Carlo Levi. Si le Christ s’est arrêté à Eboli, l’aventure du cyclisme, celui de la passion et de la théâtralisation de ses champions, dont l’auteur rappelle que la quête n’était pas l’argent mais le besoin de se transcender pour échapper à leur condition d’humain, s’est arrêtée à la fin des années quatre-vingt. Tout comme dans l’œuvre autobiographique citée, le moteur du cyclisme a puisé ses ressources et construit ses légendes dans le génie populaire. On ajoutera que le sport cycliste, la boxe en est un autre exemple, s’est nourri de son attractivité auprès du grand public pour ses qualités de force et de courage. Est-il besoin de rappeler que ces sports, à leur apogée, attiraient les plus belles femmes qui n’avaient d’yeux que pour ces champions.

Coppi indépassable

Dans ces « Forcenés », l’auteur taille comme des diamants une suite de portraits dédiés aux artistes, à tous ceux qui ont fait de ce sport un art majeur.

Deux thèmes ressortent particulièrement au moment de refermer le livre de Philippe Bordas. Il y a eu l’avant et l’après Coppi. Coppi est indépassable parce qu’il a porté son sport au pinacle. Chez Coppi, l’aboutissement est tel qui pousse son sport jusqu’au déni de la compétition tant il survole, solitaire, ses adversaires. Confrontés au besoin d’élévation, Philippe Bordas rappelle sur ce thème à quel point tous les grands champions, surtout les grimpeurs, se sont tous consumés à l’édification de leur mythologie, Coppi, Gaul, Ocana et plus tard Marco Pantani.

A ces deux thèmes centraux, Philippe Bordas, tisse un fil rouge tout au long du livre, celui des confidences que Gem (1) doit lui faire sur le dopage, témoignages entamés mais avortés, sous prétexte que « les dopages étaient dérisoires et les exploits énormes ».

Personnellement, je retiens le meilleur de ces portraits d’hommes d’exceptions, ceux des frères Pélissier, de Coppi, de Jacques Anquetil et Roger de Vlaeminck. Ils ont ici vus sous des angles différents, touchants et instructifs. Enfin, il y a aussi ces pages vertigineuses, dédiées à l’art de grimper, de descendre et de sprinter.

(1) Geminiani, contemporain et intime de Coppi, puis directeur sportif de Jacques Anquetil.

Pour en savoir plus …
Forcenés par Philippe Bordas, Editeur : Fayard, 2008.
Portrait du cyclisme en bout de course par Michel Butel, Le Monde, 11 juillet 2008


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